Au détour d’une itv [1], l’aveu aura été prononcé cette semaine, par Alain Juppé. A la question « Etes-vous favorable au contrôle des budgets par la Commission européenne avant leur vote par les Parlements nationaux ? » Il fera cette réponse, dont il n’aura sans doute pas mesuré la portée : « C’est une révolution que j’approuve sans réserve. On est allé trop loin dans la construction européenne, pour ne pas aller plus loin encore. » Pour justifier ce propos, il ajoutera même : « Si l’euro disparaissait, c’est l’Europe qui disparaitrait. Tout alors deviendrait possible, y compris le pire ».
Mon propos, ici, ne porte pas sur l’extension des pouvoirs de la Commission européenne, à laquelle je ne suis absolument pas favorable puisqu’au contraire je souhaite rétablir la souveraineté nationale. C’est bien évidemment dans la raison qu’il fournit à son approbation que je vois la preuve de l’erreur de sa position. Raison qu’il fournit de façon surprenante, sans aucune réticence et dont l’expression naïve est tout simplement renversante !
Elle s’apparente tout à fait, à ce qui est appelé « le processus de validation collective de l’aberration » dans la sociologie des erreurs radicales et persistantes. [2] Dans ce processus, le silence sur les désaccords et la persévérance dans l’erreur sont deux mécanismes qui se renforcent : on persiste parce qu’il devient de plus en plus difficile de dire qu’il ne faut pas persister, tant pour ne pas affaiblir le groupe auquel on appartient que pour ne pas s’en exclure. D’autant que dans ce genre de décision politique, ce qui est recherché n’est pas la bonne solution, mais l’adhésion. Or ces décisions sont potentiellement absurdes parce qu’on peut tout faire au nom de la mobilisation. Et dans cette perspective, mieux vaut une décision absurde qui suscite l’adhésion collective plutôt qu’une bonne solution sans soutien !
On est ici dans l’expression dramatique destinée à nous faire croire « qu’on va tous mourir » si on arrête la construction européenne ou si l’on sort de l’euro. On est clairement dans l’auto-justification s’appuyant sur la persévérance dans les décisions du passé pour continuer dans l’erreur radicale en en espérant la fameuse adhésion collective. Ce que confirment évidemment la Norvège, la Suisse, le Royaume-Uni, la Pologne etc…
[1] Le passage en cause de cet itv est réservé aux abonnés ou à la version papier du Figaro du 18 février et figure à la suite de cet article
[2] Ce domaine a été exploré en autre par Christian Morel dans son livre « Les décisions absurdes » (dont je vous recommande la lecture) et ce chapitre en référence est illustré par…les cas de la navette Challenger et de la ligne Maginot !